Fils, petit-fils, arrière-petit-fils et père d’éleveurs d’agneaux pré-salés dans la baie du Mont Saint-Michel, Yannick Frain, 52 ans, perpétue une tradition agricole plus que millénaire.

Parmi les nombreux éleveurs ovins que compte la France, il en est très peu qui consultent, quotidiennement et pour des raisons professionnelles, le calendrier des marées. De fait, le flux et le reflux de l’océan dans la baie du Mont Saint-Michel rythme la vie des éleveurs d’agneaux pré-salés depuis plus d’un millénaire. « Les terres sur lesquels nos bêtes paissent sont régulièrement recouvertes par la mer, explique Yannick Frain. Il y pousse une végétation spécifique de plantes halophytes, adaptées à l’eau salée, qui donne à leur viande son goût inimitable. »

Jutosité

Celle-ci fait le délice des gourmets et restaurateurs, qui en commandent depuis le Japon ou les Etats-Unis. « Elle n’a rien à voir avec celle des agneaux classiques, affirme Yannick. La nôtre a des saveurs marines délicates et une jutosité exceptionnelle. »
Pour acquérir ces qualités, les agneaux (issus de races spécifiques : Suffolk, Cotentin, Rouge de l’Ouest…) sont menés tous les jours sur ces fameux prés salés, dès la fin de la période d’allaitement et pour une durée qui ne peut être inférieure à 115 jours selon l’AOP. Cette transhumance quotidienne est compliquée de chéneaux qui rallongent le trajet et multiplient les risques d’enlisement. « Nos bêtes parcourent 5 à 15 km tous les jours, sous notre surveillance. Cela contribue à la qualité de la viande ». Elle impacte aussi la qualité de vie des éleveurs. « Les journées de 10 ou 15 heures sont la norme, raconte Yannick, surtout en période d’agnelage. »

Vocation

Un métier exigeant, donc, qu’ils sont de moins en moins nombreux à exercer. « Quand j’ai commencé, nous étions vingt éleveurs sur la baie, contre cinq aujourd’hui, constate Yannick. La plupart des agriculteurs locaux préfèrent faire du légume. C’est pour cela que suis fier que mon fils ait voulu prendre ma succession. »
Il faut dire que Yannick s’est pleinement investi dans sa tâche, assumant la présidence de l’AOP de la baie du Mont-Saint-Michel, et développant avec sa femme, en plus de la vente de ses produits, une offre d’accueil touristique forte de 90 lits. « La seule chose qui nous manque, c’est un restaurant ! » affirme-t-il, avant d’ajouter : « après tout, j’ai encore une fille de 20 ans que cela peut intéresser… »